PRESSE : Manager n'est pas une question de genre mais de culture

Lire l'article publié dans le journal l'Opinion

Pour Cécile Dejoux, être un bon manager, cela se joue avant 20 ans ! C’est à l’école, que les réflexes, les comportements se formatent et décideront du type de manager que l’on sera demain.

Le management au féminin existe-t-il ?

Cette question me semble à la fois nécessaire et dépassée. Nécessaire car les travaux de recherche nous montrent qu’il existe bel et bien un management au féminin. On peut faire référence aux nombreuses études scientifiques (Annis, 2003 ; Eagly & al, 20o7 ; Women matter, 2017) qui ont montré des traits de caractère spécifiques aux hommes et aux femmes surtout dans le traitement de l’information (ressource versus un élément à partager), la prise de décision (va à l’essentiel versus explore tous les aspects d’un sujet) et dans les relations sociales (cherche à convaincre versus cherche le consensus). Dans les recherches que nous menons au Learning Lab Human Change (Chaire d’entreprises) que je dirige et anime avec Isabelle Galy, au Cnam, des verbatim récoltés auprès des entreprises de notre écosystème montrent que pour les entreprises, le sujet est toujours sensible.

C’est-à-dire ?

Les patrons ne sont pas toujours très à l’aise pour en parler. « Toutes les études récentes démontrent qu’il est caricatural de parler d’un management féminin versus un management masculin. Au XXIe siècle, il est donc grand temps de sortir des stéréotypes. Le seul point de convergence est qu’il y aurait un style de leadership plus autocratique chez l’homme, que le leadership féminin serait plus démocratique », juge ainsi Julien Lever, partner chez Julhiet Sterwen, en charge des activités Leadership et Développement. « Sans faire de généralités, les femmes sont souvent plus inclusives, plus ouvertes à la différence dans leur style de management. La diversité est un réel facteur de succès », explique Céline Heller, responsable des partenariats dans une entreprise du Web. Le sujet est donc important mais la question me semble aussi dépassée, car ce qui compte ce n’est pas si on manage comme un homme ou une femme mais comment on devient un manager respecté et influenceur.

C’est à l’école, que les réflexes, les comportements se formatent et décideront du type de manager que l’on sera demain. Etre un bon manager, ça se joue avant 20 ans !

Comment faire pour cela ?

En ce jour spécial de la journée de la femme, je voudrais rappeler que devenir un bon manager, ne s’acquiert pas le 1er jour où on doit gérer une équipe, mais commence à s’acquérir à l’école, pendant les études, quand on vit ses premières expériences de travail avec les autres, quand on apprend à négocier avec le sexe opposé, quand on apprend le compromis, la persuasion, la conviction. C’est à l’école, que les réflexes, les comportements se formatent et décideront du type de manager que l’on sera demain. Etre un bon manager, ça se joue avant 20 ans ! Je voudrais raconter l’histoire d’Alice, jeune étudiante de 19 ans qui évolue dans un milieu masculin, en classe préparatoire aux écoles d’ingénieur. C’est un milieu où les jeunes filles sont peu présentes et pourtant si nécessaire pour imaginer demain des solutions technologiques qui donneront vie à de nouveaux usages ! Alice a osé : dans sa promotion, elle a été la première jeune fille, depuis des générations, à participer au concours d’éloquence (joute verbale des temps modernes). Qu’importe qu’elle ait gagné ou qu’elle ait perdu la partie. Savez-vous pourquoi, demain, elle aura toutes les chances d’être une manageuse appréciée ? Ce n’est pas parce que c’est une femme mais parce qu’elle est sortie de sa zone de confort, parce qu’elle a compris les règles et qu’elle a exprimé sa personnalité. Grâce à ce concours d’éloquence, elle a appris à se différencier : et ça, c’est un talent du manager de demain !

Quels encouragements donneriez-vous aux jeunes filles ?

Toutes celles qui étudient et construisent leur projet professionnel, j’aimerais les encourager à « voir grand », à se dépasser, à oser à se surprendre, à imaginer l’impossible. Toutes les études montrent que les jeunes filles doutent plus que les garçons à l’école. En France, on forme peu et trop tard aux « soft skills », aux compétences d’expression, d’affirmation de soi, de valorisation de ses talents. Etre un bon manager demain, c’est apprendre à 20 ans à respecter les autres, à exprimer ses sentiments, à avoir l’esprit critique, à prendre des décisions et des risques mesurés.

Quelles sont les caractéristiques, les spécificités quand les femmes sont aux commandes ?

Les travaux de Linda Babcock et Sara Laschever montrent que les femmes ont été formatées à ne pas demander ce qu’elles souhaitent et au lieu de mener des négociations permanentes, elles préfèrent renoncer. Valoriser ses compétences n’est pas naturel pour les femmes. Alors que pour un homme, il est bienvenu de demander à prendre des responsabilités ou de demander une augmentation de salaire. Par exemple, dans un entretien de sélection, les femmes parlent naturellement de ce qu’elles devraient améliorer alors que les hommes soulignent en priorité ce qu’ils ont accompli. Ce sujet est porté par des dirigeantes telle que Sheryl Sandberg, COO de Facebook, qui a écrit un livre Lean In : Women, Work, and the Will to lead (2013) afin d’encourager les femmes à avoir confiance en elle et à développer leurs compétences et leur ambition.

Plus un collaborateur est en haut de l’échelle hiérarchique, plus il sera stimulé par le critère du pouvoir, c’est-à-dire par une position de leader et d’influenceur. Un facteur de motivation que les tops managers de sexe féminin et masculin citent respectivement en première et seconde position du podium !

Pensez-vous que les femmes devraient manager comme des hommes ou l’inverse ?

Permettez-moi de citer une étude réalisée à partir du Baromètre PerformanSe, qui constate en 2017, que les hommes et les femmes sont stimulés par les mêmes leviers de motivation au travail. « Lors de la réalisation de ce Baromètre, nous avons été surpris l’année dernière de constater que les hommes et les femmes sont stimulés par les mêmes leviers de motivation au travail. Plus un collaborateur est en haut de l’échelle hiérarchique, plus il sera stimulé par le critère du pouvoir, c’est-à-dire par une position de leader et d’influenceur. Un facteur de motivation que les tops managers de sexe féminin et masculin citent respectivement en première et seconde position du podium ! », note Nadia Nardonnet, directrice générale de Performan. Donc, manager n’est pas une question de genre mais de culture, de valeurs.

Avez-vous beaucoup de femmes qui suivent votre Mooc ? Quels sont leurs profils ?

Avec Valérie Charrière, maître de conférences au Cnam, nous avons réalisé une étude longitudinale sur les inscrits du MOOC « Du manager au leader » sur FUN (Plus de 138 000 inscrits, 148 pays). Au même niveau hiérarchique, les motivations à suivre ce MOOC sur le management sont différentes pour les hommes et les femmes : par exemple, pour les managers de proximité, les femmes ont moins de motifs utilitaires (obtenir un certificat, une promotion, une augmentation de salaire) que les hommes. Pour les managers d’équipes importantes, les femmes veulent mettre à jour leurs connaissances ou se faire plaisir alors que les hommes veulent développer leurs réseaux professionnels. Enfin, l’étude montre que quel que soit le niveau de management, les femmes se sentent moins leaders que les hommes à poste équivalent et qu’elles se forment de plus en plus au management via les MOOC. Alors qu’elles n’étaient que 43,5 % à répondre à l’étude en 2014, elles sont majoritaires, en 2017, avec 53,2 % !

Manager au féminin consisterait au fond à être en phase avec les valeurs de la civilisation numérique ?

Oui, manager au féminin, c’est « donner vie à » et non « prendre le dessus sur ». On est tous des managers au féminin quand on crée les conditions de succès pour donner vie à des projets, faire éclore des talents, ouvrir une voie d’exploration, valoriser les possibles et encourager les initiatives. Par contre quand on impose, quand on s’inscit dans une relation binaire de domination ou de conquête, le côté féminin s’estompe. Aujourd hui, de plus en plus d’hommes managent avec les codes, les valeurs du management au féminin car à l’ère du numérique (aplatissement des structures, développement de la coopération, partage des décisions etc.), les codes acceptés et acceptables changent si on veut fédérer et engager la nouvelle génération. La transparence, la discussion, la prise de décision par celui qui en contact avec le client, l’empathie, le feedback continue, la créativité sont des valeurs socles en phase avec le management au féminin.

Références

Women and the Labyrinth of Leadership, Alice H. Eagly, Linda L. Carli, Harvard Business Review, 2007.

Etude annuelle sur les femmes et le management, réalisée par McKinsey & Co.

Women don’t ask, éd. Princeton University Press, 2003.

Superactive

Cécile Dejoux est Professeur des universités au Cnam, professeur affiliée ESCP Europe, directrice du Learning Lab Human Change et créatrice du Mooc « Du manager agile au leader designer » sur Fun. Elle est devenue une vraie rock star des MOOC (Massive Open Online Course). Elle a fait une « tournée » dans le pays pour rencontrer les gens qui suivent son MOOC sur le management, le plus suivi de France. Dotée d'une énergie à soulever les montagnes, elle est sur mille fronts en même temps sans jamais se départir de son optimisme contagieux et revigorant.

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